LE FIL DENTAIRE – OCTOBRE 2017
Si pour planifier un acte complexe, vous recherchez un créneau libre en matinée afin d’être au mieux de votre forme, il y a toutes les chances que vous ayez un problème d’éclairage dans votre salle de soin.
80% des informations nécessaires à l’exercice de la médecine bucco-dentaire sont fournies par la vision (système complexe œil-cerveau). Or ce système visuel ne fonctionne bien que sous une bonne lumière et est très énergivore -la fatigue se manifeste d’abord par les yeux-.
Pour rester en forme longtemps, dans la journée et dans la vie, il est fondamental de disposer d’un bon éclairage.
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L’Homme est un animal diurne qui a évolué dans la nature, sa vision également. Ce n’est que depuis 150 ans que notre civilisation a bousculé ses habitudes : le travail se pratique dorénavant à l’intérieur et de surcroit plutôt en hiver, y compris quand le jour est tombé. Un éclairage artificiel intérieur est donc nécessaire.
Mais pour bien voir à l’intérieur, il faut y reconstituer les conditions d’éclairage naturel.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer sa main dehors et en scruter les détails des formes et des couleurs… Le constat est limpide : on voit parfaitement !
Les images que forme le cerveau sont la compilation des millions de stimuli collectés essentiellement par les récepteurs complémentaires des 2 sphères oculaires : les cônes pour la vision centrale et les bâtonnets pour la vision périphérique.
Bien voir latéralement… pour bien voir devant !
En conduite de nuit, nous sommes privés de vision latérale : cette situation est stressante et fatigante, même si les phares puissants permettent de voir plus loin (vision centrale), alors que de jour au même endroit, nous y voyons bien mieux et confortablement. En cabinet dentaire, prioriser le scialytique met les praticiens en situation de conduite de nuit, avec pour facteur aggravant, la réflexion de sa lumière puissante par les dents et les instruments.
La solution est limpide : il faut donner la priorité, lors de la conception de l’éclairage d’une salle de soin, à l’éclairage environnemental. Plus le plafonnier sera à même de reproduire les conditions d’éclairement de la lumière naturelle du Nord, plus les conditions visuelles de travail seront reposantes et efficientes. Cela suppose :
- Pas d’éblouissement par la source (comme vers le Nord, soleil non visible)
- Éclairage uniforme, abondant et sans contraste, dans tout l’espace visuel : plafond, murs latéraux, plans de travail… (comme l’éclairage du ciel, indirect)
- Contingentement des surfaces réfléchissantes (parce qu’on porte des lunettes de soleil en bateau ou au ski pour nous protéger de la réflexion de la lumière sur l’eau ou la neige)
Voir et se sentir bien
Ainsi, la luminothérapie, destinée à redonner tonus et moral, consiste à réduire la sécrétion de la mélatonine par un éclairage abondant contenant beaucoup de lumière Cyan (couleur du ciel au nord). Donc à reproduire à l’intérieur les conditions d’un beau ciel bleu. De son côté, la faible lumière orangée du soir et du matin conditionne la modification de notre rythme cardiaque qui assure la transition veille-sommeil.
Ainsi, gérer optimalement le spectre et la quantité de lumière dans une salle de soin, c’est assurer le dynamisme et le bien-être du personnel soignant. A l’inverse, c’est lui assurer un état plus ou moins dépressif et une grande fatigue.
La lumière a une influence directe sur nos cycles biologiques et notre fonctionnement : sommeil, mémoire, dynamisme, envies, appétit, digestion, force physique, concentration… C’est la conjugaison de l’intensité lumineuse et de la répartition spectrale qui commande notre journée au rythme des saisons.
Il est donc essentiel de mettre en œuvre un éclairage général reproduisant le spectre de la lumière du jour, et surtout pas uniquement les 6500K de sa température de couleur. Ce d’autant plus que les LED blanches conventionnelles à 6500K produisent beaucoup plus de lumière bleue HEV que de lumière jaune et ont une luminance extrêmement forte. Il suffit d’observer celles utilisées pour les phares des voitures ou des Velib’ pour s’en convaincre.
Préserver la santé de ses yeux
Notre système visuel ne réglant l’ouverture pupillaire qu’en fonction des verts-jaunes, la rétine du praticien reste inondée de façon constante et abondante par ces bleus HEV qui sont à l’origine du vieillissement.
Il s’agit d’un phénomène similaire aux coups de soleil, provoqués eux par des ultraviolets qu’on ne voit pas. Or chacun sait que l’exposition au soleil de façon répétée sur de longues périodes induit un risque dermatologique. Il en va de même pour l’exposition de l’œil à de fortes doses de bleu HEV telles qu’en dispensent les LED froides conventionnelles. Il faut donc prendre ses précautions pour ne pas fatiguer ses yeux et pour ne pas les user prématurément. Certes le risque n’est pas un cancer mais quand même une cataracte voire une DMLA précoce.
L’éclairement général devient malheureusement insuffisant dès qu’on rentre en fond de bouche. Des sources directionnelles sont alors nécessaires pour compléter l’éclairage général. Il faut les choisir avec soin pour n’introduire ni les facteurs générant la fatigue visuelle et la dégradation de la performance au travail, ni la toxicité de la lumière bleue.
Les loupes : l’usage d’outils de grossissement est indiscutablement un facteur de confort et de performance en médecine bucco-dentaire. Mais leurs LED frontales sont malheureusement à forte pointe de bleu toxique…
Les instruments rotatifs : leur LED est destinée à effacer l’ombre de l’instrument lors des fraisages. Afin de limiter la fatigue de l’œil et son usure, il faut en doser l’éclairement aussi faiblement que possible pour éviter les contrastes, et choisir des LED dont la température de couleur a été significativement baissée… (<4500K)
Les scialytiques : ils doivent répondre aux mêmes principes sous-tendant le fonctionnement harmonieux de la vision :
- Uniformité de l’éclairage : plus le champ éclairé est uniforme et grand, moins l’œil aura à accommoder
- Puissance de l’éclairement maitrisée : si le plafonnier reproduit bien l’éclairage naturel extérieur, le scialytique, dont le rôle est de compléter l’éclairage en fond de bouche, n’aura pas besoin d’être puissant. On évitera ainsi les réflexions et les éblouissements ; la vision sera meilleure et reposante.
- Spectre de la lumière : pour éviter la toxicité au bleu, il est nécessaire que le spectre reproduise la lumière naturelle, à défaut ait une température de couleur limitée (<5000K)
Champ conventionnel 35000 lux champ nouvelle génération 15000 lux
restreint / éblouissant large / uniforme
En pratique :
pour voir bien, se sentir bien et faire du bon travail, tout au long de la journée et de sa vie professionnelle, il faut s’équiper d’un éclairage dentaire performant, qui se compose, dans l’ordre de priorité :
1- d’un plafonnier, assurant :
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- un éclairement général suffisant
- une répartition uniforme, directe/indirecte, dans tous les plans et volumes de la pièce
- un spectre reproduisant le D65 de la lumière du jour, à défaut ne dépassant pas 5000K.
2- d’un scialytique :
- doté d’une tache d’éclairement uniforme et de grande taille
- dont l’intensité, réglable, n’excède pas 15.000 lux,
- dont le spectre est continu et régulier, à défaut dont la température de couleur se situe dans le segment 4.000- 5.000 K
3- de LED pour instruments, à utiliser à puissance minimum et en couleur <4500K, mais pas les LED des loupes, à éviter en raison de leur toxicité expert international AFNOR et ISO pour l’éclairage dentaire
Jean-Marc KUBLER
expert international AFNOR et ISO pour l’éclairage dentaire